PÄR OLOF
Série photographique, 2010
Pär ne parle pas de lui. Quand je lui
demande, il me dit non. «Jamais? »
« Non, pas jamais, mais pas maintenant ».
Les
mêmes phrases qui reviennent. Le peu de phrases que je comprends :
« Il vente
dehors » ; « Prends du café » ;
« Ressers-toi » ; « Qu’est-ce que tu dis ?» ;
« Tu es
fatiguée ? »... Il me parle en suédois. Un suédois que je mets du temps à
comprendre. Plus tard, il me
parle dans sa langue, en sámi, pour que j’apprenne. Il rit fort et
d’un rire surprenant.
L’été, il me semble qu’il ne dort pas, de toute façon,
ici, la nuit ne se couche pas, et il semble déterminé à lui tenir compagnie. Les jours sont longs et lumineux, et à part quelques oiseaux rieurs sur le lac,
le temps est silencieux. Les voitures et les cars de touristes qui passent au
loin sur la route de Stora Sjöfallet paraissent loin de tout ça, de tout son
monde. Les jours sans heures, sans nuits, nos regards sans mots.
Pär se lève
tôt. Il se lève avant le vent. Il embarque dans son bolide cabossé pour aller
poser ses filets de pêche sur le lac, au soleil bleu, dans l’air glacé de la
neige qui fond, le printemps sámi. Lorsque je l’entends fredonner au hasard
devant le lac, il me semble entendre un vieux loup gémir,
une voix légère et aigüe.
L’hiver, il se lève pour ses rennes. Tous les matins
à 6 heures, j’entends sa radio s’allumer. Je l’entends s’activer, allumer le poêle,
faire chauffer l’eau et se recoucher quelques minutes, allongé sur son lit. Des
tubes pop récents, c’est avec ça qu’il se réveille, Pär.
«Buore baivvi », «Bonjour», ou littéralement « le soleil brille » en sámi giella, la langue sámi. Il enfile ses chaussettes et boit le premier café de la
dizaine qui suivront. Dehors, sa moustache gèle en gouttelettes. Il tousse
comme un sourd, mais refuse d'aller voir un docteur, ça ne lui ressemble pas d'aller contre nature. Il observe ses rennes. Il répartit
équitablement la nourriture de chacun dans l’écuelle, et il enlève méticuleusement
les poils qui sont tombés dedans. II leur caresse rapidement le poil. Et il
jure « Helvete », quand quelque chose cloche. Il s’active toute la journée.
Parfois, il s’arrête, il s’assoit, regarde à sa fenêtre, écoute le vent, entend
tous les bruits. Silence. Il me regarde de ses yeux bleus froids qui
réchauffent. Il tapote du pied, feuillete un journal ou un catalogue, passe un
coup de fil. Parfois, Pär va en ville, il sort son pull violet, peigne ses
cheveux argentés en arrière, va se passer un peu de parfum et enfile enfin sa
tuque de fourrure, pendant que le moteur de sa voiture chauffe. Le soir, il s’allonge sur sa
banquette, ou par terre, près du poêle, silencieux.
« À quoi tu penses ?» je
lui demande.
« Je pense pas tant que ça» il me répond.
« Tu rêves ?» Il sourit
un peu. Il me dit qu’il n’est jamais fatigué, et il s’endort les pieds près du
poêle, sans crier gare, en silence, discrètement.