KANAKY - Nouvelle-Calédonie
Série photographique, 2018

La Nouvelle-Calédonie, archipel du Pacifique, représente un des derniers “confettis” de l’empire colonial Français. Sous l’égide de la France depuis 1853, cette collectivité d’Outre-mer vit actuellement un processus de décolonisation inédit. Inscrite depuis 1986 au comité onusien des pays à décoloniser, la Nouvelle-Calédonie est régie par une série d’accords avec l’État français, visant à mettre en place un processus d’autonomisation et une série de référendums sur son indépendance.

Quels que soient l’issue des votes et le futur statut administratif de la Nouvelle-Calédonie, le défi du vivre-ensemble demeure néanmoins un enjeu central au sein de cet archipel océanien où tâchent de coexister le peuple autochtone Kanak et la diversité des descendants de bagnards français, algériens et de travailleurs javanais, indochinois, chinois, vietnamiens ou polynésiens qui se sont implantés sur “le caillou” au fil du temps.






Arrêt de bus, commune de Touho.
Sur la côte Est de la Grande Terre, les signes en faveur de l’indépendance sont omniprésents. La côte Est est majoritairement peuplée par les Kanak, le peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie. La possibilité de l’indépendance est inscrite dans la loi depuis près de quarante ans, à travers une série d’accords successifs rédigés après des décennies de mobilisation politique kanak.



Drapeau du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) planté sur un terrain en friche à Dumbéa. Malgré la mise en place de réformes foncières ayant subdivisé la Nouvelle-Calédonie en trois régimes de terres (terres  coutumières Kanak, terres gouvernementales et terres privées), les conflits fonciers divisent encore parfois la population, particulièrement dans les zones en voie de développement urbain.




Commune de Dumbéa,  Grand Nouméa.
À quelques kilomètres de la capitale calédonienne, plusieurs communes comme celle de Dumbéa, se développent très rapidement en raison d’un boom démographique et de la cherté des logements à l’intérieur de Nouméa, la capitale.





Promenade Pierre-Vernier, Nouméa.
Nouméa est parfois nommée par les Calédoniens « Nouméa la blanche » en raison de la présence historique des colons français et des métropolitains qui viennent aujourd’hui y travailler et parfois s’y installer. La ville est divisée entre les quartiers Sud, aisés, où demeurent une partie de la population métropolitaine, et les quartiers Nord, plus populaires. Les installations sportives récemment construites sur la route qui longe les quartiers Sud entendent contribuer à la mixité sociale de la capitale: les jeunes calédoniens s’y retrouvent, quels que soient leurs origines et leurs milieux socio-économiques.



Promenade Pierre-Vernier, Nouméa.




Sur la plage de Magenta, située proche du secteur industriel au Nord de la ville, on croise surtout des Océaniens venus passer l’après-midi en famille.





Marché de Nouméa, Quartier Latin.
La diversité calédonienne est marquée par la présence de descendants de coolies: des travailleurs chinois, vietnamiens, indonésiens envoyés des anciennes colonies françaises, britanniques ou hollandaises dès la moitié du 19ème siècle afin de travailler sous contrats, et dans de très difficiles conditions dans les mines et l’agriculture calédonienne.




Sortie des classes, Quartier Latin, Nouméa.




Avenue Foch, Nouméa.
Si la célébration de la fête nationale française n’attire pas les foules calédoniennes, on la célèbre encore annuellement près de deux siècles après que la France ait déclaré sa souveraineté sur cet archipel du Pacifique, en 1853. Un siècle plus tôt, en 1774, un explorateur britannique l’avait déjà baptisé d’après l’ancien nom de l’Écosse britannique : Caledonia.





Le soir du 14 juillet, les candidates calédoniennes au concours des Miss France sont là pour représenter la diversité de cette « collectivité d’Outre-mer ». 



Au centre-ville de Nouméa, on croise beaucoup de militaires en civil. Cristian est d’origine roumaine. Il fait partie de la Légion étrangère.





« C'est quoi la France pour vous ? » Adossés sous un pin colonaire de la commune de Païta en périphérie de Nouméa, Félicité et Emmanuel me répondent : « C'est un peu déranger notre culture. On doit faire de l’argent, on ne peut plus rester aux champs. » Emmanuel voudrait partir étudier la mécanique au Canada. Dans une semaine, faute d’avoir été accepté en lycée professionnel, Félicité commence l’armée.




La scène hip hop est très active dans la capitale calédonienne, au même titre que la danse contemporaine qui fusionne cette danse urbaine avec les danses kanak. Toutes les semaines, de nombreux jeunes Calédoniens se rassemblent au « Rex Nouméa » pour pratiquer le break-dance et le hip-hop dans les salles de ce lieu culturel. Certains d’entre eux ont intégré des troupes professionnelles.



Le Betico II  relie la Grande Terre aux îles Loyauté.
La Nouvelle-Calédonie est un archipel composé d’une île principale, la Grande Terre et de plusieurs îles qui s’égrènent au large de son littoral. À l’Est de la Grande Terre, les îles d’Ouvéa, Lifou, Tiga et Maré constituent la Province des îles Loyauté. Depuis les Accords de Matignon-Oudinot en 1988, visant entre autres à rééquilibrer l’économie du pays, centralisé jusqu’alors à Nouméa, la Nouvelle-Calédonie a été subdivisée en trois provinces : province Nord, province Sud et province des îles Loyauté.




Kaloié Mala est un Kanak originaire de la tribu de Mu, sur l’île de Lifou. Il a travaillé toute sa vie à Nouméa et il est revenu passer sa retraite dans sa tribu avec sa femme Lizi. Il voit d’un mauvais oeil la construction d’un complexe hôtelier de luxe dans la cocoteraie voisine en raison de la pollution que cela risque de générer dans les eaux de pêche.




Lizi Mala, tribu de Mu.



Sur chaque terrain de la tribu de Mu, une case est érigée à quelques pas d’une maison en dur. La case est centrale dans la culture et la cosmologie kanak. Son entretien se fait régulièrement et collectivement. Il donne l’occasion à chaque membre de la tribu de consolider sa place au sein du clan et du lignage auxquels il appartient. Rentrer sur les terres d’une tribu ou d’une famille kanak implique de faire le geste coutumier. Celui-ci consiste à présenter une parole de respect et d’humilité à ses hôtes, en leur faisant une offrande qui matérialise la parole échangée.




Taanlo fait partie des quelques îlots au large de l’extrêmité Nord de la Grande Terre. Dorou Pogan, le diacre de Taanlo me montre l’unique plan d’eau saumâtre de l’îlot. Les quelques résidents de la tribu de Taanlo n’ont accès à l’eau potable que trois fois par semaine, durant une heure, après qu’une turbine ait transformé l’eau salée en eau potable. La plupart des résidents de l’île sont des femmes d’un certain âge, car les jeunes familles sont parties travailler sur la Grande Terre.



Au mois d’août 2019, durant une semaine, la tribu de Taanlo a accueilli plusieurs femmes Kanak impliquées dans les consistoires protestants de la Grande Terre. Durant cette semaine de réflexion et de culte, des femmes Kanak de toutes générations confondues ont discuté autour d’un thème général : « Familles, Évangile et cultures dans un monde en mutation ».




Commune de Voh, province Nord de la Grande Terre.
Contrairement aux îles Loyauté, érigées en réserves durant la période coloniale, la Grande Terre a été l’espace de contact principal entre l’administration coloniale, les colons français et les clans kanak. Alors que les îles Loyauté sont encore essentiellement peuplées par des tribus kanak, la Grande Terre, et plus particulièrement la région Nord Ouest, est caractérisée par un fort métissage et une coexistence historique entre tribus kanak et descendants de bagnards et colons libres français.






Commune de Ouegoa, province Nord.
Plus familièrement appelés Caldoches, les descendants de bagnards et de colons libres français qui se sont métissés avec les différentes populations calédoniennes préfèrent généralement qu’on les désigne par le terme calédonien. Les plus vieilles générations revendiquent cependant parfois le terme caldoche, qui renvoie pour eux à une culture et un mode de vie tournés vers l’élevage bovin.



Edouard et sa mère, Sylvia Castels, sur leur propriété, dans les environs de la tribu Kanak de Boyen, province Nord.



Axel Ben Larbi pratique l’élevage bovin parallèlement à la gestion de son entreprise de transport dans le Nord de la Nouvelle-Calédonie. De nombreux Algériens ont été exilés dans les bagnes calédoniens durant l’histoire de l’empire colonial français.  Axel possède à la fois des origines algériennes et tahitiennes.



La foire de Bourrail en province Nord, est le rassemblement annuel des éleveurs calédoniens. Ils s’y croisent à la fois pour des tournois de rodéo aux allures Western et les défilés de bétail. Pratiquée traditionnellement à cheval, comme dans l’outback désertique australien, la culture calédonienne de l’élevage bovin a été largement infuencée par la présence d’éleveurs australiens dès la moitié du 19ème siècle. Stockmen, Run, Stockyard, Dock: les termes anglophones sont restés dans le jargon de l’élevage calédonien.



Armand Ogushiku et sont fils Atila, aux abords des rives du fleuve Diahot. Armand est issu d’un métissage japonais, javanais et Kanak. Son propre fils Atila est né d’une mère Kanak. Il y a quelques années, son fils aîné est décédé d’une balle tirée lors d’une sortie de chasse sur un tronçon du Diahot revendiquée par une tribu kanak. Après des décennies de cantonnement en réserves, de nombreux clans kanak se sont vus réatribuer des terres dès 1978. Malgré ces réformes foncières, le partage du foncier demeure encore un enjeu sur la Grande Terre.



Koné, province Nord.
Lorsque l’on quitte la capitale, on tombe en brousse. Au-delà des conflits fonciers, une commune appartenance relie les gens de brousse: « On est comme un cocon familial. Pour le référendum, on a dit qu’à Nouméa il y avait eu des violences, mais ici, au Nord, il n’y avait rien du tout » m’explique Falaï Kika, une jeune broussarde.



Travailleur australien à l’usine de Vale, Province-Sud.
La Nouvelle-Calédonie possède 30% des richesses mondiales de nickel. Implantée depuis le 19ème siècle en Nouvelle-Calédonie, l’économie minière est aujourd’hui la principale source d’exportation. Parallèlement à la construction de l’usine Vale, dans le Sud calédonien, la construction de l’usine du Nord, Koniambo Nickel a été pensée comme un outil de rééquilibrage économique entre le Nord et le Sud de la Grande Terre. Détenue à 51% par les élus indépendantistes de province Nord, l’usine du Nord est également considérée comme un levier vers l’indépendance du pays.



Attirés par l’essor économique et le développement urbain provoqués par la construction de l’usine du Nord, plusieurs métropolitains arrivent directement de France pour occuper des postes en province Nord. Ils sont néanmoins plus nombreux dans le Sud du pays, car pour favoriser «l’emploi local», l’usine du Nord emploie actuellement 85% de natifs calédoniens.



Commune de Koné, province Nord.
Lolita revient de ses courses dans un centre commercial de la zone VKP (Voh, Koné, Pouembout), développée en même temps que l’usine du Nord. Une grande partie des produits alimentaires qu’on trouve dans les commerces proviennent de l’extérieur de l’archipel. Les produits en provenance de France sont en moyenne 33% plus élevés qu’au sein de la métropole.



La Grande Terre est scindée en deux par une chaîne de montagnes. À l’Est, le climat plus humide et le paysage plus escarpé ont annulé toute possibilité d’élevage extensif. Les tribus Kanak y sont en majorité. Sur le pont qui traverse la rivière Poindimié, on croise souvent des jeunes qui pêchent la carangue à la sagaie.



Depuis les années 1990, des jeunes de toutes les paroisses catholiques de Nouvelle-Calédonie se rassemblent annuellement à l’hippodrome de Téné pour célébrer leur foi. La communauté wallisienne et futunienne y est fortement représentée. Majoritairement protestants, les Kanak sont tout de même également présents en nombre durant cet évènement.

Les Wallisiens et Futuniens sont plus nombreux sur la Grande Terre que sur l’île de Wallis-et-Futuna, située à 3 heures de vol de Nouméa. Arrivés dès les années 1950 afin de trouver du travail en territoire calédonien, ils se sont progressivement implantés dans le paysage calédonien. Malgré une commune culture océanienne, la cohabitation avec le peuple autochtone Kanak a été parfois difficile pour les Polynésiens, incluant également les Tahitiens. Lors du pélerinage religieux de Téné c’est l’occasion pour l’ensemble de la jeunesse océanienne de mettre à l’essai le « destin commun » et le vivre ensemble promulgués par les politiciens calédoniens depuis l’Accord de Nouméa.



Pélerinage de Téné.



Commune de Pouebo, côte Est.
En Nouvelle-Calédonie, à moins de résider dans la capitale ou d’habiter dans un village possédant son lycée, la majorité des lycéens vivent en internat, comme ces trois lycéennes, qui sont originaires de différentes régions de Nouvelle-Calédonie .



Soline s’en va étudier en métropole dans quelques mois. La majorité des jeunes Calédoniens souhaitent partir étudier à l’étranger. La solution la plus commune reste la France métropolitaine, mais d’autres destinations comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou même le Québec se sont ouvertes progressivement.


Shirley est revenue diplômée du Québec il y a quatre ans: « Avant le Québec, je faisais beaucoup la distinction entre les gens : les « Caldoches », les « Mélanésiens », les « Wallisiens »... Quand on revient ici, on a l'impression que les gens se rendent pas compte qu'on est tous du même endroit et qu'on forme un peuple, un pays. On est parfaitement capables de vivre ensemble ailleurs, alors pourquoi on peut pas le faire chez nous ? ».




© Annabelle Fouquet – 2024